jeudi 19 juillet 2007

Tunisie:arts populaires : le réflexe «facile»



Arts populaires : le réflexe «facile»
Voix de Tunisie (Aswat Tounès) qui a donné le la à la 43e session du Festival international de Carthage est un spectacle portant sur les arts populaires : poésie, contes, chants et gestuelles des régions.
Sept tableaux représentatifs de la diversité des arts du terroir ont constitué l’essentiel du menu.
200 protagonistes en tout, entre poètes, conteurs, musiciens, chanteurs, danseurs et cavaliers, ont animé ce spectacle mis en scène par Raja Farhat, également directeur de cette session, et Amel Fargi, et dont Mourad Sakli a été le conseiller musical et artistique.
La thématique et l’approche, il faut le dire, ne sont pas nouvelles. Déjà en 1980, les aînés des protagonistes du spectacle de samedi dernier étaient montés sur la scène du Théâtre romain à l’occasion de «la soirée des arts populaires» initiée par Raja Farhat lui-même, également alors directeur de «Carthage», les deux Fadhel (Jaziri et Jaïbi) et Ali Saïdane qui, lors de la dernière session du festival orchestra une soirée du même type, mais en «format» plus réduit à l’espace El Abdellia à La Marsa.
D’autres évoquent même Abwab Tounès (portes de Tunisie) de Riadh Zaouche présenté le 22 mai dernier sur l’esplanade de l’acropolium de Carthage et animé par 85 protagonistes. Ce spectacle, dit-on, aurait largement inspiré Aswat Tounès. Mais l’on oublie qu’entre-temps, il y eut d’autres expériences, d’autres spectacles.
En 1991, il y eut Nûba, par exemple, le fameux méga-spectacle de musique, chants et danses monté par Samir Agrebi et Fadhel Jaziri.
Un événement, un épiphénomène, un «happening» qui — rappelez-vous — a fait des vagues en suscitant l’intérêt de tous, journalistes, critiques, intellectuels, publics de tous poils, etc. «Elites» et «masses», si l’on puit dire, ont accouru, jaugé, jugé et analysé l’épiphénomène Nûba.

Ce spectacle, rappelons-le, est né dans un contexte politique international tendu et très particulier, soit dans la foulée de la première guerre du Golfe et son cortège de déceptions, désillusions, amertume, colère et désarroi, ressentis par les peuples d’Orient. Choc des intérêts ou choc des cultures? Peut-être les deux à la fois.
Du coup, dans ce contexte mondial délicat et crispé, il était, alors, de bon ton d’effectuer un retour aux sources, aux racines, au patrimoine.
Une manière, pour les uns et les autres, d’exprimer frustrations et ressentiments à l’encontre de cet Occident qu’ils admiraient tant, mais qui n’a pas hésité — quoique aidé par d’autres alliés arabes — à attaquer et à bombarder massivement l’Irak, symbole, par excellence, pour la majorité des Arabes, de la civilisation arabo-musulmane.
Evidemment, concernant Voix de Tunisie et malgré le contexte déprimant que vivent les pays arabes, la question de l’identité, de l’authenticité et du patrimoine ne se pose plus avec la même force et acuité que lors du choc premier des années 90. Car, si l’on revient en général aux arts populaires, c’est pour les exploiter en vue d’y chercher ce qui pourrait coller au goût actuel. Mais pour y parvenir, on l’a vu dans Nûba et Hadhra, il faut tâcher d’être sélectif et créer des repères d’écoute (tels que Ya Chadli, Yamma Lasmar, Nemdah Lagtab, etc.). Cela, sans oublier, bien sûr, de traiter musicalement et scéniquement ce patrimoine afin de le ramener à la sensibilité actuelle. Et c’est ce qui compte le plus. Car, pour la jeunesse notamment, le message passe difficilement. Ramener le patrimoine dans le quotidien culturel s’impose, donc, afin de réconcilier les publics avec l’art authentique en ces temps de mondialisation où les particularités culturelles et identitaires se délitent.
Il est vrai, qu’apparemment, la mondialisation fonctionne contre «l’exception culturelle», mais les cultures locales peuvent, en étant bien adaptées, constituer un bouclier contre la pensée unique.
En ce qui concerne Voix de Tunisie précisément, ce qui nous a paru échapper quelque peu à ses auteurs c’est cet objectif-là : non pas faire défiler des documents bruts, entre poésie, chansons et contes si éloquents et si respectables soient-ils, mais les travailler, les traiter afin d’en tirer le plus grand profit artistique et culturel pour le plus grand nombre.
Certes, dans Voix de Tunisie, qui s’étire trop en longueur (3h00), il y eut quelques moments de poésie (Bennani and co) de chants (Zohra Lejnef) de musique et de danse ( les tabbal de Kerkennah, les danseurs de Kébili), d’expressions soufies (stambali, tijania, issaouia), etc. mais on ne comprend pas que le spectacle soit dénué de fil conducteur et d’unité thématique et «balancé» de manière brute sans scénographie, ni chorégraphie, ni costumes créés pour l’occasion.
Autrement dit, de manière quasi figée, voire artistiquement momifiée, sans imagination, ni créativité artistiques.
On ne comprend pas non plus que le milieu de la scène du théâtre antique — les troupes et chanteurs étant disposés de part et d’autre du plateau de Carthage et ne communiquant jamais entre eux, d’ailleurs — soit resté désespérément vide.
Et ce n’est point l’irruption de trois cavaliers — dans la fosse aménagée — illustrant de façon primaire, comique même, quelques fragments de «la geste hilalienne» qui auront contribué à combler ce vide.
Ce qui fait, justement, la différence entre des spectacles, tels que Nûba, Hadhra et Voix de Tunisie, c’est le parti pris de Jaziri et Agrebi qui ont choisi la voix de l’adaptation et du traitement artistique sans toutefois tomber dans l’altération.
Et il faut reconnaître qu’ils y ont, en grande partie, réussi. L’approche documentaire,voire folklorique , en fait, ne sert que ceux qui exhibent les documents. Elle peut aussi servir à la conservation, à la recherche ou à la préservation. Mais, est-ce là la meilleure façon d’être dans la dynamique du temps? Il est permis d’en douter. Le recours aux arts populaires serait-il devenu un réflexe «facile», dicté par la paresse artistique et une volonté de remplissage, à défaut de création et de créativité?
Bref, pour conclure, disons que ce n’est qu’une fois adapté et revisité artistiquement, sans être pour autant altéré ou modifié, que le patrimoine pourrait s’inscrire dans l’air du temps, le cheminement des décennies et la succession des générations. L’art populaire est un art vivant ou il n’est point.Samira DAMI
lapresse

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