jeudi 28 juin 2007

une figure historique et mondiale de l’anti-impérialisme.


Y a-t-il un prophète dans le pays ?

« A tout seigneur, tout honneur » dit Florence Ehret au tout début de son « Dictionnaire abrégé, mais néanmoins amoureux de Chenguitti ». ce faisant, l’écrivain français signifie que présenter Ahmad Baba Miské, c’est forcément rendre hommage à un homme qui a consacré toute sa vie à son peuple et son pays.

Renommée internationale

Pour parler de lui, les Sahraouis, qui lui doivent le cri de naissance internationale de leur peuple, témoignent par leur propre destin. Son livre, « l’Ame d’un peuple », reste la bible de leur cause et son avocat au grand tribunal des nations. Dans les moukhayems du Nord de ce désert, c’est une lecture de chevet. Plus au Sud du Sahara, les Touaregs en particulier, et le peuple malien en général, se sont rassemblés autour de son « pacte national » qui leur apporta la paix et la démocratie. Car c’était surtout lui qui avait harangué la communauté internationale, et trouvé les mots justes pour l’impliquer dans la volcan ethnique de l’Azaouad : « C’est un conflit majeur qui risque d’enflammer le Sahel entier, voire au-delà ; des pays d’Afrique noire comme le Burkina étant concernés par la question si l’Occident attend d’être chauffé à blanc par les médias, c’est-à-dire après des milliers de morts, il sera trop tard» s’était il écrié alors devant la caméra de Thierry Salpel.

L’expérience malienne a fait école, et son enseignement principal sur la scène africaine et mondiale est un hommage à son action. Comme l’illustre cette «Contribution du Mali au cinquième forum pour la gouvernance en Afrique: la pauvreté, la gestion et prévention des conflits », à Maputo au Mozambique du 23 au 25 mai 2002 : « cette volonté partagée des responsables maliens doublée de l’action de deux personnalités de renommée internationale [i](Edgar Pisani et Ahmed Baba Miske) ont permis de parvenir pour une fois à la résolution consensuelle et durable du conflit Nord malien»[/i] . Son amitié solide, avec le président de ce pays, est un témoignage vivant de sa postérité.


Credo altermondialiste

Hors de l’Afrique Subsaharienne, Ahmed Baba Miské est une figure historique et mondiale de l’anti-impérialisme. Ses positions originales sont parmi les rares à fendre la muraille de Bretton Woods. La globalisation du monde les a remises au goût du jour. Les thèses qu’il a développées dans sa « Lettre ouverte aux élites du Tiers-Monde » trouvent des relais de plus en plus structurés dans les mouvements altermondialistes. Cet ouvrage a été traduit dans les principales langues du globe. Toute une philosophie alternative de la coopération décentralisée lui doit son credo : "la meilleure aide que vous pourriez nous apporter, c’est de nous épargner votre aide". Un cri historique qu’il avait intimé à l’Occident dans les colonnes du journal « Le Monde » du 4 avril 1973. Cette alternative est aujourd’hui bien établie dans les cercles de réflexion qui ne sont pas dupes des démocratisations médiatiques à l’ukrainienne. Dans le dernier sommet de la ligue arabe, un colonel arabe en a tiré tout un discours pour marquer son come-back sur la scène internationale. En France, Baba Miske fait partie des tout premiers acteurs de l’islam de France, et sa composante négro-africaine lui doit sa modeste figuration.

Traduit dans le monde

Mais dans son propre pays, Baba Miské est resté l’agitateur historique de la Nahda. Cet engagement de jeunesse, et sa solidarité avec le peuple sahraoui, ont fait les beaux jours de la propagande néocolonialiste et tribalo-centriste. Faisant de lui la bête noire des braconniers du pouvoir qui se sont succédés à la tête de la Mauritanie. Qu’ils l’aient élargi ou emprisonné, ces élites illégitimes se sont toujours affranchi de son expertise intellectuelle et géopolitique mondialement reconnue. Au mieux, ses initiatives sont récupérées et aussitôt effilochées : campagnes d’alphabétisation, Universités du désert…les rares échos rappelant son aura internationale ne viennent de pléiades estudiantines qui, éparpillés dans le monde, en ont fait un mythe pour exister auprès des autres. Sans jamais interroger son parcours ni méditer ses perspectives, mais toujours prompts à prendre une photo en sa compagnie. Pour autant, rien de sérieux dans le monde n’est arrivé à la Mauritanie sans transiter par Baba Miské. Traducteur et commentateur d’Al-Wasit, en Français, il était devenu le check point logique de la culture nomade. Et à ce titre, le seul mauritanien du siècle à être reconnu dans les rares sphères pensantes de la planète. Comme Mohamed Lemine Ejjekeni Echchinguitty, auteur d’un excellent Tafsir du Coran ( Adhouaou-el-beyan en 10 tomes), il signe l’une des rares contributions mauritaniennes à la pensée du vingtième siècle. Enfin, Baba Miské est surtout le seul écrivain mauritanien dont les rares ouvrages sont traduits dans le monde entier.

« La démocratie qui peut exister chez nous »

A lire son nom sur une liste de soutien au CMJD ou l’entretien qu’il nous accorde, Baba Miske croit à l’avènement de la démocratie dans son pays. Sans ambitions personnelles, le revoilà au cœur originel de ce grand désert dont il fut l’infatigable porte parole, et dont les deux extrémités célèbrent déjà les fruits de son combat. Cette fois, c’est sa Mauritanie natale qui attend sa médiation. C’est elle qui exige son expérience et son énergie. Dans son plaidoyer pour une médiation franco-mauritanienne dans la crise du Sahara, il définissait ainsi sa méthode : «Le médiateur le plus influent et le plus habile ne peut imposer la paix. Mais il peut lui donner toutes ses chances. La présenter de manière "attrayante", c'est la forme - et ce n'est pas rien. Sur le fonds, la solution sera calibrée au millimètre près, de telle manière que chacun puisse se dire au bout du compte : «J'ai obtenu 99% de ce que les rapports de force objectivement évalués me permettaient d'espérer». Mais son art de «faire prendre conscience, à chacun sans le brusquer ni le braquer, » de la réalité des enjeux va-t-il lui servir dans le chantier menant à «ce qui peut exister comme démocratie chez nous»? A en croire Florence Ehret, son profil est idéal pour le Bilad Chinguitti : « le respect qui l’entoure, son aura propre donnent la mesure de ce que Chinguetti peut (re)devenir grâce à lui ». C’est ainsi que la terre rapatrie ses droits, et que l’histoire intime de l’homme finit toujours par le prendre au mot. Mais pourrait-on ne plus jamais dire, en Mauritanie, que « nul n’est prophète dans son pays » ?

Cheïkh Touré
Article paru dans l'hebdomadaire "Carrefour" du 22 août 2005

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